Alors que la procédure de sélection des candidatures au programme des étudiants d’été d’États non-membres est en cours, nous avons rencontré la responsable du programme, Ana Đorđević. Voici le dernier article de notre série intitulée « Mener un projet » (Project Leadership series). Cette série a été l’occasion de rencontrer les responsables de différents projets menés sous l’égide de la Fondation CERN & Société afin d’en capturer l’essence à travers leur regard.
Ana, parlez-moi du programme des étudiants d’été d’États non-membres (NMSSS).
Le programme des étudiants d’été est le programme phare du CERN. Il nous permet chaque année de faire venir au CERN les étudiants les plus brillants et de leur donner l’occasion de suivre une formation unique. Le programme des étudiants d’été d’États non membres, destiné uniquement aux étudiants provenant d’États non membres du CERN, s’inscrit dans le cadre plus large du programme des étudiants d’été. Pour financer ces bourses, nous avons besoin de ressources privées extérieures, et donc de la Fondation CERN & Société.

Pourquoi le CERN a-t-il lancé ce programme ?
Ce programme existe depuis des décennies. Le premier programme des étudiants d’été a été lancé en 1962, lorsque Victor Weisskopf était le directeur général du CERN. L’idée était alors de sensibiliser les étudiants de premier cycle universitaire aux activités du CERN en leur donnant la possibilité d’avoir une expérience concrète pendant leurs longs congés d’été. Au cours de cette première édition, 70 étudiants d’États membres sont venus au CERN pour une période de 6 à 8 semaines. Au fil du temps, le programme s’est développé pour inclure plus d’étudiants, plus d’activités et bien sûr plus de nationalités. À la fin des années 1990, des étudiants venus des États-Unis et de Russie ont pu pour la première fois participer au programme. En 2019, le CERN a accueilli 154 étudiants provenant de ses États membres et États membres associés, et 142 étudiants provenant d’États non-membres. Par ailleurs, avec le temps, un nouveau programme axé sur l’informatique a été créé, le programme des étudiants d’été CERN Openlab, qui a accueilli 41 étudiants en 2019.
En quoi consiste le programme ?
Pour les étudiants d’États non-membres, le programme se déroule sur une période de huit semaines. Ils passent la majeure partie de leur temps au CERN à travailler sur un projet, sous la supervision de membres du personnel du CERN, ce qui est une vraie valeur ajoutée pour leur future carrière. Ces étudiants n’étudient pas tous la physique, certains étudient l’informatique ou l’ingénierie. (N. B. : le travail réalisé au CERN ne se limite pas non plus à la physique !) Nous avons besoin de beaucoup d’ingénieurs et d’experts en informatique pour épauler les physiciens dans leur travail. Cette approche est cohérente avec l’évolution des sciences, de la technologie, de l’ingénierie ou des mathématiques (STIM). À la fin de leur séjour, un rapport est publié sur le déroulement de leur projet, rapport qui peut être rattaché à leur CV. La plupart des étudiants sont des étudiants de niveau master ou bachelor ; leur CV est donc important.
Parallèlement, nous proposons une série de conférences très enrichissantes, sur un mois. C’est pour cette raison que les étudiants passent leurs matinées du mois de juillet à suivre des cours et leurs après-midis sur leurs projets. Ces cours sont très pointus, les étudiants doivent donc avoir un haut niveau pour en tirer le maximum. En complément, nous proposons de nombreux ateliers pratiques, des activités sociales ludiques et des visites de nombreux sites intéressants du Laboratoire.

Quel type d’activités sociales proposez-vous ?
Lorsque les étudiants arrivent pour la première fois, nous leur proposons un cocktail de bienvenue. C’est un après-midi très spécial, car c’est la première fois que tous les étudiants se réunissent et peuvent échanger entre eux. Nous les invitons ensuite à organiser eux-mêmes des activités sociales. Nous souhaitons qu’ils forment une communauté à part entière, il est donc logique qu’ils prennent ensuite les initiatives. Je me rappelle une année où ils ont organisé un concours de talents. Comme beaucoup d’entre eux savaient jouer d’un instrument et étaient très doués, ils ont souhaité montrer leur talent à leurs collègues et leurs amis. Ce fut un événement inoubliable ! Il arrive aussi que les étudiants organisent des fêtes, en suivant quelques règles - le CERN est avant tout un lieu de travail. Les étudiants s’amusent tout de même beaucoup et se divertissent.
À la fin de leur séjour, ils ont également l’occasion de présenter le travail qu’ils ont réalisé à leurs collègues et à leurs superviseurs. Certains participent également à une session de présentation de posters, où toute personne du CERN intéressée peut assister aux présentations. C’est pour eux l’occasion de se distinguer et de présenter leur travail.
Qu’apporte ce programme aux étudiants ?
Une expérience dans le domaine de la science et un apprentissage de qualité sont des réponses évidentes, mais il ne faut pas oublier la dimension culturelle, la plupart des gens n’y pensent pas. Être exposé à la culture internationale du CERN et interagir avec des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt que vous, mais qui viennent du monde entier est une expérience unique. C’est la première chose qui me vient à l’esprit lorsque je pense à ce programme. Les étudiants construisent leur propre communauté - ils restent en contact pendant des années après cette période passée ensemble au CERN, et il arrive même qu’ils travaillent à nouveau ensemble. Les liens qu’ils tissent sont précieux pour eux, comme pour leurs pays. C’est en quelque sorte de la diplomatie par la science.
Au moment du départ, après huit semaines passées au CERN, la plupart des étudiants affirment avoir vécu le meilleur été de leur vie !
Y a-t-il une valeur ajoutée pour les étudiants après ce programme ?
L’expérience personnelle qu’ils acquièrent est considérable. Les étudiants ont la possibilité de sortir de leur pays d’origine et de rencontrer de nouvelles personnes, qui leur apportent beaucoup et qui peuvent être une source d’inspiration à bien des égards. C’est une expérience incroyable. Pour les étudiants provenant d’États non-membres, cette expérience peut être un réel tremplin pour leur carrière. Le fait de travailler au CERN pendant deux mois complets sur un projet encadré par un superviseur permet aux étudiants en physique d’avoir accès à des possibilités uniques qu’ils n’auraient pas eues autrement. Ils acquièrent aussi énormément de connaissances. Ce sont tous des étudiants très ambitieux. Beaucoup d’entre eux reviennent au CERN en tant qu’étudiants techniques ou utilisateurs auprès de différentes expériences, et certains poursuivent même des études de doctorat. Ils en retirent aussi quelque chose de précieux : la possibilité de faire évoluer leur carrière au-delà de ce qu’ils pensaient possible ! Ils peuvent découvrir ce qui les attend en dehors de leur foyer, de leur communauté et de leur pays.
Les frais de subsistance des étudiants sont entièrement pris en charge durant toute la durée du programme ; cela leur permet de ne pas avoir à se préoccuper des dépenses liées à la nourriture, au logement ou autres. Ils peuvent ainsi se concentrer pleinement, et de façon optimale, sur leur apprentissage, leur développement personnel et leur travail.

Selon vous, quel est le point fort du programme des étudiants d’été d’États non-membres ?
Chaque étudiant arrive ici avec une idée bien précise en tête. Ce peut être de travailler sur le projet de leurs rêves, de pouvoir assister aux conférences données par les meilleurs spécialistes, d’avoir l’occasion de nouer des liens avec des personnes remarquables dans leur domaine, de passer un bel été sur un agréable campus en Suisse ou encore d’avoir la chance d’être en Suisse, au milieu des montagnes avec la randonnée, le ski et bien plus encore ! C’est pour cette raison que je pense que l’élément le plus important est que chaque étudiant peut définir ses priorités en fonction de ses attentes vis-à-vis du programme.
Qu’est-ce qui vous donne l’énergie de travailler sur ce projet ?
Pour ma part, je travaille sur ce programme toute l’année, car il y a un million de choses à faire. Et une fois le programme terminé, il faut encore établir des rapports et assurer le suivi. Toutefois, la partie du programme que je préfère est la phase d’accueil. Nous avons été en contact avec eux par courriel, consulté leurs candidatures, suivi le déroulement de la procédure, procédé au choix de leurs superviseurs et peut-être même résolu des problèmes de visa. Mais dès le premier jour de leur arrivée, lorsque nous les recevons pour la session d’accueil, on voit la joie se dessiner sur leurs visages et on oublie tous les efforts qui ont été faits.
Quel est l’impact de ce programme ?
Chaque année, des étudiants venant de plus de 100 pays (70 à 80 États non-membres) participent à ce programme. C’est un incroyable mélange d’étudiants qui se voient offerts une occasion susceptible de changer leur vie. En outre, il offre une véritable égalité des chances. En 2019, 57 % des participants étaient des étudiants, et 43 % des étudiantes !
Pour beaucoup d’anciens étudiants, ce séjour au CERN a été le premier pas vers une carrière réussie dans le domaine de la physique. David Plane, par exemple, étudiant d’été lors de la toute première édition du programme est devenu le porte-parole de la collaboration OPAL, qui étudiait les collisions dans le collisionneur électron-positon du CERN, le LEP. L’éminent physicien norvégien Egil Lillestøl a aussi vu sa carrière commencer avec ce programme.
Écouter ce que les étudiants en disent fait vraiment chaud au cœur. En 2015, une étudiante du Venezuela a déclaré ceci :
« Avant de participer à ce programme, mes chances de réussir en physique étaient incertaines ; j’avais contre moi un grand nombre de facteurs défavorables. J’étais pauvre, déprimée, j’essayais de terminer mon bachelor pour avoir un avenir plus prometteur, mais mon université (qui était publique) fermait constamment par manque de ressources… Les seules choses positives étaient que j’aimais la physique et que j’avais de bons mentors. Dès que j’ai été acceptée au sein du programme, mes perspectives ont considérablement changé. Grâce à ce programme, j’allais avoir accès à une formation spécialisée, développer mes compétences professionnelles, créer un réseau de contacts, augmenter mes chances d’être acceptée dans une école supérieure, et tout cela m’ouvrirait un meilleur avenir universitaire… Je suis très heureuse d’avoir eu cette possibilité et je souhaite que d’autres puissent aussi bénéficier de cette expérience unique. J’ai personnellement beaucoup appris de ce programme, mais je pense que mon expérience a aussi eu un impact positif autour de moi. Le fait que j’ai été reçue dans un programme aussi prestigieux que celui-ci a encouragé mes camarades étudiants ; cela voulait dire que s’ils travaillaient dur, ils pourraient eux aussi avoir une telle chance. Et beaucoup on réussit. »

Pour conclure, expliquez-nous comment vous en êtes venue à exercer ces fonctions au CERN.
Je suis originaire de Serbie, j’ai étudié les sciences politiques et les relations internationales. La physique a toujours fait partie de ma vie - tous les membres de ma famille sont physiciens, y compris mes parents et mon frère. Alors, naturellement, j’ai étudié les relations internationales, dans le but de m’éloigner le plus possible de la physique ! Et bien sûr, allez savoir pourquoi, je suis arrivée au CERN. Je pense que mon poste est une belle combinaison de tous ces éléments.
Je travaille sur ce programme par intermittence depuis 2017, à différents postes et avec une perspective différente à chaque fois - je me suis occupée de tâches administratives, du volet destiné aux étudiants d’États membres, de tâches liées aux ressources humaines, et je travaille maintenant sur le volet destiné aux étudiants d’États non-membres. Chaque nouvelle expérience a apporté son lot de défis uniques et m’a permis de découvrir une nouvelle facette du programme.
Cette année, le programme devra malheureusement se dérouler en ligne, en raison de la situation sanitaire encore incertaine. (N. B. : En 2020, le programme des étudiants d’été a dû être annulé en raison de la pandémie de Covid-19.) J’ai tout de même hâte de rencontrer les nouveaux étudiants, et ce même de façon virtuelle !